L’interdiction de l’abaya : une mesure cynique et dangereuse

Le ministre de l’Éducation Nationale, G. Attal, vient de publier une circulaire interdisant l’abaya dans les écoles. Il y a quelques jours, il a déclaré que cette interdiction serait effective dès le lundi de la rentrée.
À en juger par les moyens de communication mobilisés et par l’empressement du ministre, il semble qu’interdire l’abaya soit devenu l’urgence absolue.

Décision consternante et dangereuse à plus d’un titre.

Rappelons pour commencer quelques informations dont on a tout récemment pris connaissance à l’approche de la rentrée scolaire.
Une étude vient d’être publiée qui nous apprend que 2000 enfants dorment à la rue.
Pour nombre de familles, le coût de la rentrée est tout simplement insupportable du fait de l’explosion de tous les prix.
Selon une enquête réalisée en 2021, près d’un enfant sur deux à l’entrée en sixième n’a pas le niveau requis en matière de maîtrise de la lecture. Cette situation alarmante, on le sait, ne s’est pas améliorée.
Toujours en cette rentrée, le nombre de postes d’enseignants non pourvus s’élève à 3000. Ce sont également des milliers d’AESH qui font défaut, avec les conséquences catastrophiques pour les enfants, pour leurs familles.
Liste malheureusement non exhaustive qui témoigne à elle seule du désastre en cours.

Le ministre n’en ignore rien, et pourtant il décide de braquer les projecteurs, de tout concentrer sur l’abaya.
Dans quel objectif sinon faire diversion, camoufler la réalité de la rentrée, semer la division ?

Mais il y a plus grave encore. Pour justifier sa décision, M. Attal invoque la laïcité. Comment y croire ? S’il s’agissait réellement de défendre la laïcité, alors le ministre prendrait tout de suite des mesures pour mettre un terme à une situation qui voit l’enseignement privé confessionnel bénéficier de fonds publics en quantité toujours plus importante. Si la laïcité était réellement sa préoccupation, il se demanderait pourquoi en cette rentrée, plus d’un enfant sur deux à Paris va être scolarisé dans l’enseignement privé, et il prendrait les mesures qui s’imposent pour y remédier. Rien de tel évidemment.

Il s’agit donc d’autre chose. Difficile de voir dans l’agitation ministérielle autour de l’abaya autre chose qu’une instrumentalisation cynique et malsaine de la laïcité. Une instrumentalisation qui déroule le tapis rouge à la pire réaction puisque comme toujours, il s’agit de désigner à la vindicte publique, de prendre pour cible une partie de la population en raison de son adhésion supposée ou réelle à la religion musulmane. Rien de surprenant venant du ministre d’un gouvernement qui a conçu la très funeste loi contre le séparatisme.

On donnera pour conclure la parole à l’historien Jean Baubérot, professeur émérite et président d’honneur de l’école pratique des hautes études, spécialiste de la laïcité. Voici ce qu’il vient d’écrire :
« Rappelons que la plupart des autorités musulmanes, notamment les instances comme le CFCM et la Fondation pour l’islam de France (censée conseiller le gouvernement en la matière) ne considèrent pas l’abaya comme étant un « vêtement religieux ».  Pour l’institution scolaire, en revanche, elle le devient. L’école, au nom de la laïcité, s’institue donc en instance qui fabrique du religieux ! » (…).
Il ajoute : « Je propose que l’on étudie dans les différentes classes, dès la journée de rentrée, les deux premiers articles de la loi de 1905 et les propos d’Aristide Briand, rapporteur de la Commission parlementaire, présentant cette loi : il s’agit, indiquait-il, de proclamer « solennellement que, non seulement la République ne saurait opprimer les consciences ou gêner dans ses formes multiples l’expression extérieure des sentiments religieux, mais encore qu’elle entend respecter et faire respecter la liberté de conscience et la liberté des cultes. »
Quant au vêtement, Briand s’est montré, à ce sujet, on ne peut plus clair : il a refusé l’interdiction du port de la soutane pour deux raisons : d’abord, fondamentalement, parce que la loi de 1905 est une « loi de liberté » et qu’en conséquence, elle ne doit pas « interdire à un citoyen de s’habiller de telle ou telle manière » ; ensuite, parce que le résultat serait « plus que problématique » : la soutane interdite, on pourrait compter sur « l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs » pour créer un « vêtement nouveau ». La loi de 1905 = la liberté de conscience + le refus de jouer au chat et à la souris. Intelligence des principes et intelligence de la stratégie. »

L’opération politique initiée par le ministre de l’Éducation Nationale n’a aucune espèce de rapport avec la laïcité. Elle répond à une volonté cynique de division, de stigmatisation. Elle est dangereuse pour l’école, pour l’ensemble de la société. La circulaire ministérielle interdisant l’abaya, contre laquelle le groupe parlementaire LFI a déposé un recours auprès du conseil d’état, doit être abrogée.

Paris, le 3 septembre.

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